Côte d'Ivoire: «Pour Gbagbo, la religion est un artifice pour se maintenir au pouvoir»

Publié le par Bienvenue sur baol-medias-culture www.bmc.com

Laurent Gbagbo, le 17 novembre 2010, à Abidjan.

Laurent Gbagbo, le 17 novembre 2010, à Abidjan. K. SIA/ AFP

INTERVIEW - Le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan analyse pour 20minutes.fr la tendance mégalomane du président sortant ivoirien...

Dieu a donné la Côte d’Ivoire et le pouvoir à Laurent Gbagbo, et seul Dieu pourra les lui ôter. C’est ce qu’affirme le président sortant ivoirien, tout comme son épouse Simone, qui se croit investie d’une mission divine. Le 1er avril dernier encore, alors que les forces républicaines d’Alassane Ouattara passaient à l’offensive à Abidjan et aux abords du palais présidentiel, l'ambassadeur de Côte d'Ivoire à Paris, Aly Coulibaly, affirmait que «Gbagbo, sa femme Simone et leur pasteur sont en train de prier, espérant que la situation va se retourner en leur faveur».

Venance Konan, journaliste et  écrivain ivoirien, auteur de Chroniques afro-sarcastiques (éd Favre), analyse pour 20 Minutes la tendance mégalomane du président sortant ivoirien.

Pensez-vous que Laurent Gbagbo croit vraiment que Dieu lui a «donné la Côte d’Ivoire»?

Je crois qu’au départ, Laurent Gbagbo a utilisé la religion pour abrutir les gens. Au début, il n’y croyait pas véritablement et il ne montrait pas une très grande piété. La preuve: il a épousé Nady Bamba , une musulmane du Nord, selon la tradition malinké en 2001. Mais, à force d’utiliser la religion pour intoxiquer les gens, il s’est pris au jeu. En 2004, alors que les chars français arrivaient, on m’a raconté qu’ils étaient tous - Laurent et Simone Gbagbo, leurs proches et leurs pasteurs - en prière, main dans la main, et, lorsque les chars ont rebroussé chemin, ça a été une explosion d’alléluias.

Je pense que c’est là qu’il y a eu un basculement dans sa tête, qu’il a commencé à croire que Dieu était vraiment avec lui, qu’il l’avait choisi. Ensuite, il y a eu de plus en plus de pasteurs autour de lui, des «prophètes» qui dialoguent avec Dieu et sont dans des délires mystiques. Le manipulateur s’est laissé manipuler par sa propre création.

Ne s’est-il pas plutôt laissé manipuler par sa première femme, Simone?

Simone Gbagbo est complètement partie dans ce délire religieux depuis 1996. Cette année-là, elle a miraculeusement réchappé d’un accident de la route, et elle a rencontré le pasteur Moïse Koré, qui lui a fait découvrir la foi évangélique. Elle est souvent apparue à la télévision en transe mystique et elle organisait tous les mercredis à l’Assemblée, où elle est députée, un rassemblement de prière.

Il est possible que ce soit elle qui l’entraîne, mais il ne faut pas croire que Laurent Gbagbo est complètement manipulé par sa femme. Certes, c’est une femme de pouvoir et une idéologue –ils ont créé le Front populaire ivoirien (FPI) ensemble et elle a souvent agi comme si elle était la coprésidente de la Côte d’Ivoire. Mais, dans les faits, les deux sont responsables. Ce n’est pas forcément elle qui l’entraîne sur le mauvais chemin. Laurent Gbagbo ne veut pas abandonner le pouvoir. Il a d’importants avantages qu’il ne veut pas perdre. La religion est un artifice pour se maintenir.

Il n’y a donc pas que ces croyances religieuses qui l’amènent à vouloir se maintenir au pouvoir?

Non, pas seulement. C’est un mélange de beaucoup de choses. La religion bien sûr, mais il y a d’autres considérations. Par exemple, le fait que Gbagbo appartienne à l’ethnie Bété, dont les membres se considèrent comme les vrais Ivoiriens, et ont un profond mépris pour les Baoulé et les «étrangers» en général ayant mieux réussi qu'eux, dont Ouattara fait partie. Il a donc du mal à accepterde lui laisser le pouvoir.

De plus, Gbagbo est profondément convaincu que Ouattara est derrière le coup d’état de 2002. Tout cela sans compter qu’il craint la prison, dans la mesure où les abus, la corruption mais aussi les crimes qui ont été commis sous sa présidence pourraient lui valoir de passer devant un tribunal international. Tout cela fait qu’il ne veut pas partir. Il a dû penser à Mugabé et se dire qu’il pourrait faire le dos rond pendant quelque temps, puis que les gens se calmeraient et qu’il pourrait conserver le pouvoir. Mais finalement, ça ne s’est pas passé ainsi.

Pensez-vous qu’il ira jusqu’au bout?

Je ne suis pas très optimiste. J’ai peur que oui, qu’il meure en martyr, même s’il a dit qu’il n’était pas kamikaze. Je ne pense pas qu’entre cette folie et un brin de lucidité il fasse le bon choix.

 Propos recueillis par Bérénice Dubuc
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